Cela
devient une manie chez les américains de faire des remakes des romans et des films
asiatiques. A croire qu’ils ne savent plus quoi inventer, du coup, ils se
jettent à corps perdus sur les oeuvres japonaises, coréennes, etc. Suzanne
Collins joue tout de même avec le feu et risque bien de s’y brûler si elle
compte séduire un nouveau public sans décevoir les fans de la version nipponne.
Mais comme on dit, on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs. Maintenant,
c’est à ses risques et périls d’en casser trop.
Le roman
« Hunger Games »1,
littéralement « Les Jeux de la faim », que nous présente Suzanne
Collins, fait partie du genre de la science-fiction. Mais plus précisément,
c’est un roman d’anticipation dystopique. Celui-ci est dans la lignée des grands classiques d’anticipation
dystopiques, tels que « 1984 » de George Orwell ou « Fahrenheit 451» de Ray Bradbury, à
cela près que ce premier roman de la trilogie éponyme, s’adresse à la
jeunesse. Paru en 2008 aux
États-Unis puis décliné en trilogie, « Hunger Games » a connu un succès fulgurant et immédiat : il
s'est écoulé à trente millions d'exemplaires et se classe dans le top 10 des best-sellers établi par le « New York Times ». Les droits de
la série ont d’ailleurs déjà été vendus dans une quarantaine de pays. En
France, les romans font le bonheur de leur éditeur « Pocket Jeunesse », ceux-ci se
vendant comme des petits pains en solde. Ainsi, le premier tome a récemment
fait l’objet d’une adaptation cinématographique, par le réalisateur Gary Ross,
en avril dernier. Mais comme toutes les adaptations, elle garde un côté
décevant, malgré sa grande fidélité par rapport au roman.
L'histoire du
premier tome commence dans une Amérique post-apocalyptique et futuriste, appelée
« Panem », divisée en douze districts. Le Capitole, qui est un gouvernement
répressif, autoritaire et dictatorial, pour maintenir ces districts sous son
autorité après la rébellion du district Treize, organise annuellement des jeux réunissant
vingt-quatre jeunes, un garçon et une fille de chaque district. C’est un jeu de
télé-réalité que les habitants de Panem sont forcés de regarder. Le principe
étant qu'il ne reste plus qu'un seul survivant à la fin ! Ainsi le gagnant
survivra et y gagnera en célébrité tandis que les autres mourront, sans autre
forme de procès. On comprend déjà d’emblée pourquoi on peut rapprocher cette
histoire de celle de « Battle Royale » de Kōshun Takami qui est
basée sur plus ou moins le même concept, ou encore à « Running Man »
de Stephen King, basé également sur le principe des jeux de télé-réalité et de
mise à mort. Katniss, le personnage principal, est une fille de seize ans
vivant dans le district Douze. Depuis la mort de son père, elle doit prendre
soin de sa mère et de sa petite soeur Primerose et les aider à survivre en
ramenant de la nourriture. Pour cela, elle va aller contre la loi et pénétrer
régulièrement dans les bois, afin de trouver à manger en chassant des petits
animaux tels que des écureuils, avec Gale, son meilleur ami. Tous les deux ont
peur d’être sélectionnés pour les Jeux, mais comme tous les autres habitants,
ils n’ont pas le choix et doivent vivre avec. C’est donc à la cérémonie des
tirages au sort, appelée la « Moisson », que Prim, la petite soeur de
Katniss, est sélectionnée. Dès qu’elle entend son nom, Katniss n’hésite pas une
seconde et se porte volontaire pour participer aux Jeux à sa place. Mais le
Capitole va en voir de toutes les couleurs avec elle, car celle-ci est obstinée
et n’est pas du genre à se laisser faire. Elle pensait avoir vécu les pires
difficultés possibles, mais la voilà propulsée dans un décor impétueux, semé de
pièges, où la nourriture est aussi peu accessible que dans les districts et, où
elle devra remporter les votes des spectateurs qui les observent derrière leur
télé. Les candidats tombent comme des mouches tandis que les alliances se font
et se défont. L’issue des Jeux sera-t-elle favorable à Katniss ? Mais
est-il nécessaire d’apporter une réponse à cette question : nous sommes
dans un roman submergé par les tendances américaines et la fin ne peut-être
qu’heureuse. Un suspens est tout de même laissé au lecteur afin de lui donner
l’envie de se ruer sur les tomes suivants. Il faut bien faire fonctionner la
machine commerciale.
Une chose fort
appréciable dans « Hunger Games » est le contraste uchronique entre
la pauvreté d’antan, mélangée à la modernité des Jeux et de la technologie ! Le
roman de Suzanne Collins possède des qualités qu’on ne peut en rien
démentir. De ce fait, il faut le dire, le style d’écriture est magnifique, ce qui amène les lecteurs
à lire le roman d’une traite, et ce n'est pas grâce à des figures de style ni à
la finesse d’une plume poétique, mais plutôt le résultat d’une qualité d’écriture
évocatrice, dont la puissance et la retenue en sont les maîtres mots : le style
reste simple, dans sa connotation positive. Ici, c’est bref, aucun mot n’est en trop et chacun des mots est frappant.
Du coup, on a des détails clairs et précis sur les personnages et les scènes
qui nous permettent de nous imaginer le livre sans ce sentiment de longueur ou
d’inutilité que l’on retrouve pourtant souvent dans les pavés de SF. Cela a beau être une oeuvre de fiction, il
y a là quelque chose qui relève assurément de la vie vécue, un combat
intemporel que tous ceux qui ont déjà vécu peuvent comprendre.
Malgré
la pression médiatique présentant la trilogie d’« Hunger Games »
comme étant la digne héritière de la lignée des « Harry Potter » et
des « Twilight », (belle insulte ceci dit en passant, leur seul point
commun étant leur succès commercial) on est pourtant forcé de constater qu’on
se retrouve face à un remake édulcoré du roman « Battle Royale » de Kōshun Takami (qui a
également été porté à l’écran par le réalisateur japonais Kinji Fukasaku). « Hunger
Games » n’a rien de novateur, mais on ne peut pourtant pas parler à
proprement dit de plagiat. En effet, ces deux romans, bien qu’ils se basent sur le même concept,
concept d’ailleurs plagié par Suzanne Collins, ne connaissent que peu de points
communs. Ainsi, à l'univers et l’apparence trash, sombre et sinistre de l'île
sur laquelle se déroulaient les jeux sanglants des étudiants de « Battle Royale », l’auteur a composé ici une atmosphère beaucoup moins violente,
voire lénifiée, le décor étant planté dans une belle forêt qui n’a rien de
lugubre et dont les mises à mort se passent en douceur. Mais il est tout de
même affligeant de constater toutes les influences pompées de l’oeuvre de Kōshun Takami telles que
les interventions extérieures quand il n’y a pas assez d’adrénaline entre les joueurs :
pour « Hunger Games », il s’agit d’une intervention des Juges qui activent des pièges dans
l’arène afin de tenir en haleine l’audimat. Pour « Battle Royale »,
il s’agit de secteurs qui sont fermés,
mis en quarantaine progressivement pour obliger les joueurs à s’affronter.
En somme, « Hunger Games » n’a rien d’authentique ni de singulier. Mais
quoi qu’il en soit, rien ni personne ne détrônera jamais l’original.
Un
autre point plus que décevant et qui gâche une grande part du roman : on
connaît les scénarios américains, on sait parfaitement que dedans, « tout
est bien qui finit bien » et ce, dans le meilleur (comme le pire) des
mondes. On nous arrache donc le suspens avant même d’avoir ouvert le livre.
Tout le monde sait que Katniss (l’héroïne) ne va pas mourir, ce n’est pas dans
les idées des américains de tuer leur(s) héros. De plus, on ne retrouve pas la vraie nature de l’homme, qui, comme
l’histoire nous l’a montré, peut devenir terrifiant s’il est acculé. Mais n’oublions
pas que nous sommes dans de la littérature jeunesse, alors quoi de plus normal
que de transposer une Raiponce (avec
moins de cheveux) dans une arène.
1 COLLINS Suzanne, “Hunger Games”,
éditions Pocket Jeunesse, Paris, 2009.
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